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Alzheimer en lien avec un pathogène bucco-dentaire ?

Des chercheurs ont découvert une bactérie bucco-dentaire qui serait un facteur contributeur ou aggravant de la maladie d’Alzheimer.

Alzheimer, définition et prévalence

La maladie dite d’Alzheimer est produite par une dégénérescence progressive des neurones, qui commencerait à l’hippocampe (zone essentielle pour la mémoire), puis gagnerait le reste du cerveau.

Ses symptômes sont des troubles de la mémoire récente, puis des fonctions exécutives, de l’orientation dans le temps et l’espace (difficultés à s’orienter hors d’un espace très familier ou à utiliser des ustensiles même simples), jusqu’à la perte des facultés cognitives et de l’autonomie. La maladie survient généralement après 65 ans. En France, environ 900 000 personnes sont atteintes, dont 40% sont des hommes (en lien sans doute avec la différence d’espérance de vie). Seuls 1,2 à 2% des cas seraient héréditaires (se déclarant alors souvent autour de 45 ans). A 80 ans, 15% de la population est concernée[1].

Fonctionnement de la maladie : la « cascade amyloïde »

Les lésions caractéristiques de la maladie d’Alzheimer sont connues depuis le début du XXe s., mais leurs constituants n’ont vraiment commencé à être analysés que dans les années 1980. On sait maintenant que le cerveau des patients Alzheimer comporte en fait deux types de lésions : les dépôts amyloïdes (associés au peptide bêta-amyloïde) et la dégénérescence neurofibrillaire (associée à la protéine Tau).

Dans les années 1990 (équipe de Michel Goedert, Université de Cambridge) est formulée l’hypothèse de la « cascade amyloïde ». Selon cette hypothèse, la protéine bêta-amyloïde, naturellement présente dans le cerveau, s’accumulerait sous l’influence de facteurs génétiques (gène de l’apolipoprotéine E) et environnementaux (sédentarité, micro-traumatismes crâniens, anesthésies répétées, facteurs de risque cardiovasculaires, tabagisme), jusqu’à former les dépôts appelés aussi « plaques séniles », qui entraîneraient une augmentation de la phosphorylation de la protéine Tau, laquelle s’agrègerait en amas dans les neurones.

Les agrégats de protéine Tau

Tau (dont le rôle dans Alzheimer a été révélé en 1985 par le neuropathologiste Jean-Pierre Brion, faculté de Médecine de Bruxelles[2]) est une protéine neuronale qui régule l’assemblage et la stabilité des microtubules, lesquels approvisionnent les différentes régions du neurone, notamment les synapses, liées aux processus mnésiques. Des scientifiques français (CNRS/CEA/Université Paris-Sud, MIRCen) ont dévoilé tout récemment les cibles privilégiées des amas de protéines Tau, à savoir la pompe sodium-potassium (liée à la conduction nerveuse) et le glutamate (responsable de la transmission de l’information par la synapse). D’après les expériences menées sur des souris, les amas de protéine Tau pénètreraient dans la cellule, où ils recruteraient (grâce à des fibrilles d’alpha-synucléine) des protéines Tau endogènes et provoqueraient la formation de davantage d’agrégats, déséquilibrant le fonctionnement neuronal et entraînant la mort des cellules nerveuses. Un processus que le Pr. Ronald Melki estime aussi possible chez l’homme, mais sur des périodes plus longues.

Le rôle probable de la bactérie Porphyromonas gingivalis et des gingipains

Le Pr. Stephen S. Dominy et son équipe[3], qui travaillent depuis des années sur cette question[4], ont découvert que la bactérie Porphyromonas gingivalis, un agent infectieux impliqué dans le développement de pathologies chroniques des gencives, était présente dans le cerveau d’individus décédés souffrant d’Alzheimer, ainsi que l’ADN de la bactérie.

Or, cet l’ADN de la bactérie se retrouve aussi dans le liquide céphalo-rachidien des patients diagnostiqués probables Alzheimer. Dans le cerveau des patients décédés comme dans les neurones cérébraux des patients atteints d’Alzheimer ont été trouvées les protéases toxiques de la bactérie, appelées gingipains. Dans les cerveaux des individus âgés présentant une pathologie d’Alzheimer au stade préclinique, on a aussi trouvé des gingipains, à bas taux. La présence de cette bactérie serait en outre en corrélation avec le taux de protéine Tau.

Une étude a été faite sur des souris pour savoir si Porphyromonas gingivalis pénétrait le cerveau à la suite d’une infection buccale. La provocation d’infections buccales par cette bactérie chez les souris a de fait entraîné la présence de la bactérie dans leur cerveau, ainsi qu’une neurodégénérescence et des taux élevés de bêta-amyloïde (les deux marqueurs d’Alzheimer). In vitro et in vivo, les gingipains ont été démontrés avoir un effet négatif sur la protéine Tau. Les chercheurs sont ensuite parvenus à éliminer la bactérie du cerveau des souris, grâce à de petites molécules inhibant les gingipains, lesquelles procurent ses nutriments à la bactérie. D’où une réduction de la production de bêta-amyloïde, de la neuro-inflammation et de la dégénérescence neuronale dans l’hippocampe. Un inhibiteur de gingipain, COR388, a déjà été évalué dans un essai clinique de phase 1, qui a donné des résultats encourageants ; l’essai de phase 2 est en cours.

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Une piste pour ralentir la progression

Les chercheurs demeurent prudents dans leurs conclusions : la bactérie serait un probable facteur contributeur d’Alzheimer, pas forcément une cause. David Reynolds (Directeur scientifique du Département Alzheimer’s Research, UK) rappelle que des facteurs autres que les infections bactériennes, comme le facteur génétique, jouent probablement un rôle central dans le développement d’Alzheimer.

Le neurochercheur Robert Moir (Université de Harvard à Boston) pense que les gingipains pourraient contribuer à l’accumulation de bêta-amyloïde et à la neuro-inflammation, dans le cadre de la réponse immunitaire innée, mais ne seraient pas une cause directe d’Alzheimer. Il estime que le traitement ciblant la bactérie pourrait néanmoins s’avérer efficace pour ralentir la progression de la dégénérescence aux stades précoces de la maladie d’Alzheimer, chez les patients présentant cette infection bucco-dentaire.

Le Pr. Stephen Dominy explique cependant que l’hypothèse génétique n’est pas en contradiction ou incompatible avec la piste de la bactérie bucco-dentaire. Selon lui, il se pourrait que les porteurs de l’allèle APOE4 soient moins protégés contre l’infection par la bactérie, par rapport aux porteurs d’autres allèles APOE, d’où une présence plus importante, dans leur cerveau, de la bactérie et des gingipains[5].

L’importance du détartrage

Jan Potempa (chercheur à l’Ecole dentaire de l’Université de Louisville et co-auteur de l’étude sur l’inhibiteur de gingipains) précise que, pour maintenir le parodonte (gencive, os) à l’abri des infections bactériennes, une hygiène buccale régulière (brossage, soins dentaire) est nécessaire, mais ne suffit pas, car les bactéries se développeront de toute façon à la surface de la dent.

Quoique les recherches sur la bactérie Porphyromonas gingivalis ne permettent pas, à ce stade, d’identifier la nature exacte de sa responsabilité dans le développement d’Alzheimer, il n’en apparaît pas moins important de soumettre régulièrement ses dents à un détartrage professionnel qui, en éliminant le biofilm bactérien (plaque dentaire), préviendra le développement de l’inflammation, propice à la bactérie[6].

 

Dr. Nguyen Phuong Vinh.

 

[1] Inserm, « La maladie d’Alzheimer », mise à jour le 8 janvier 2019, https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/alzheimer-maladie

[2] Voir Amulya Nidhi Shrivastava, Virginie Redeker, Laura Pieri et al, « Clustering of Tau fibrils impairs the synaptic composition of alpha3-Na+/K+-ATPase and AMPA receptors », The Embo Journal, 10 janvier 2019.

[3] Voir Stephen S. Dominy, Casey Lynch, Florian Ermini et al, « Porphyromonas gingivalis in Alzheimer’s Disease brains : Evidence for disease causation and treatment with small-molecule inhibitors », Sciences Advances, 23 janvier 2019 ; voir la synthèse proposée par Dr. Véronique Nguyen, « Un pathogène bucco-dentaire responsable de l’Alzheimer – Un anti-gingipain prochainement évalué dans une étude internationale de phase 2/3 », Le quotidien du Médecin, 4 février 2019.

[4] D’autres chercherus s’y intéressent, voir par exemple Yicong Liu, Zhou Wu et al, « Infection of microglia with Porphyromonas gingivalis promotes cell migration and inflammatory response through the gingipain-mediated activation of protease-activated receptor-2 in mice », Scientific Reports, 7, 11759, 2017.

[5] Matt Hoffman, « Could P. gingivalis Gingipain Inhibition Work in Alzheimer Disease ? », Neurology Live, 1er février 2019, https://www.neurologylive.com/clinical-focus/p-gingivalis-gingipain-inhibition-alzheimer-disease

[6] Elena Sender, « Alzheimer : la piste des bactéries buccales se confirme », Sciences et Avenir, 30 janvier 2019.

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