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Androcur et méningiome, un risque longtemps négligé

En septembre-octobre 2018, toutes sortes d’articles ont fleuri dans la presse spécialisée et grand public pour alerter sur le risque de méningiome associé à la prise prolongée d’Androcur et de ses génériques (Arrow, Sandoz, Biogaran, Erapyl…). Pourtant, cela fait une bonne dizaine d’années que les autorités de la Santé sont alertées à ce sujet par des spécialistes inquiets.

Qu’est-ce que l’Androcur ?

L’Androcur est un médicament à base d’acétate de cyprotérone, stéroïde progestatif de synthèse ayant des propriétés anti-androgéniques (c’est un inhibiteur de la testostérone). Ce traitement hormonal est commercialisé par le laboratoire Bayer depuis les années 1980 et est prescrit essentiellement (80%) à des femmes.

Selon le Vidal, Androcur et ses génériques sont indiqués pour les « Hirsutismes féminins majeurs d’origine non tumorale (idiopathique, syndrome des ovaires polykystiques) lorsqu’ils retentissent gravement sur la vie psycho-affective et sociale. » ou encore pour le « Traitement palliatif antiandrogénique du cancer de la prostate. »

Le risque de méningiome

Le Vidal ajoute désormais « chez l’homme et chez la femme, des cas de méningiomes (simples et multiples) ont été rapportés en cas d’utilisation prolongée (plusieurs années) d’Androcur à des doses de 25 mg par jour et plus. »

Le méningiome est une tumeur, le plus souvent bénigne, qui se développe à partir des membranes qui enveloppent le cerveau et la moelle épinière (les méninges). Le Pr. Sébastien Froelich (chef du service de neurochirurgie de Lariboisière) précise cependant que « les méningiomes liés à l’acétate de cyprotérone sont souvent multiples et peuvent, en grossissant, être à l’origine d’un déficit fonctionnel important, de symptômes sévères comme des troubles visuels. » Parmi les symptômes relevés, on note des céphalées, nausées, vomissements, douleurs musculaires, perturbations du bilan hépatique (cytolyse).

Le lancement de l’alerte

C’est depuis 2008[1], grâce au signal d’alarme tiré par le Dr. Froelich, que l’acétate de cyprotérone fait l’objet d’une surveillance particulière quant au risque d’apparition de méningiome.

En 2009, la France signale ce risque auprès de l’EMA (l’Agence européenne des médicaments). En 2010, le Pr. Froelich met en évidence le lien entre l’acétate de cyprotérone et le développement des méningiomes[2]. Si bien que l’EMA invite à faire figurer ce risque dans la notice du médicament (RCP) en 2011. Mais une publication scientifique rédigée par des salariés de Bayer et des chercheurs affiliés à des centres ayant reçu des dotations du laboratoire Bayer assurent, sans avoir examiné l’acétate de cyprotérone à forte dose, que « les traitements hormonaux ne sont pas associés à des méningiomes chez les femmes »[3].

Le Pr. Froelich finit par convaincre, en 2015, l’Assurance maladie de mener une étude nationale pour évaluer l’ampleur du risque à partir de ses bases de données. Cette étude pharmaco-épidémiologique menée par l’Assurance maladie en coopération avec le service de neurochirurgie de l’hôpital Lariboisière suggère que « le risque de méningiome est multiplié par 7 pour les femmes traitées par de fortes doses sur une longue période (plus de 6 mois) et par 20 après 5 années de traitement. »

L’ANSM et un comité scientifique spécialisé temporaire (CSST, composé d’endocrinologues, endocrinologues-pédiatres, gynécologues, neurochirurgiens et dermatologues) se réunissent une première fois le 13 juin 2018, puis à nouveau le 1er octobre 2018 et se prononcent pour le maintien de la commercialisation de l’acétate de cyprotérone 50 mg en France « dans son indication actuelle chez la femme », à savoir les « hirsutismes féminins majeurs », mais en renforçant l’encadrement et le suivi des traitements.

Une lettre[4] est adressée aux professionnels de la santé toujours en octobre 2018 pour proposer une série de recommandations générales, stipulant notamment que les indications « telles que l’acné, la séborrhée et l’hirsutisme modéré sont à proscrire », ainsi que « les utilisations prolongées et à fortes doses ». Enfin, une IRM doit être réalisée « en début de traitement pour tous les patients » et renouvelée « à 5 ans puis tous les 2 ans » en cas de poursuite du traitement.

L’impact médiatique

Les recommandations contenues dans cette lettre sont reprises par diverses institutions, ainsi par le Pôle Universitaire des Neurosciences de Paris-Descartes en lien avec le Centre hospitalier Sainte-Anne, qui envoie par exemple à ce sujet une « Information destinée aux professionnels de santé libéraux ».

A partir de là, les revues médicales tout comme la presse profane reprennent le sujet et étendent leurs considérations au-delà de l’espace prudemment délimité par l’ANSM et le CSST. Le Quotidien du Médecin cite le Pr. Froelich, qui déclare que « Le risque est probablement sous-estimé, car nous n’avons pris en compte que les méningiomes opérés ». Un article du Point évoque la députée européenne Michèle Rivasi, favorable à un retrait immédiat de l’Androcur, et propose le témoignage d’une lectrice ayant développé un méningiome « de 9 centimètres sur 5 dans la partie gauche du cerveau »[5].

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Les témoignages sur les symptômes post-opératoires

Les témoignages de ce genre abondent dans la presse santé et sur les blogs ou réseaux sociaux.

Un article de L’Express liste une série de patientes s’étant fait opérer pour des méningiomes consécutifs à un traitement long d’Androcur et témoignant sur un groupe Facebook pour tous les effets post-opératoires : épilepsie, trouble de la mémoire, impossibilité de conduire, perte du goût et de l’odorat, paralysie faciale, troubles visuels, maux de tête…[6] Un article de Libération mentionne encore d’autres témoignages sur ces symptômes post-opératoires, évoquant là aussi la fatigue, les pertes de mémoires, maux de tête, crises d’épilepsie[7]. Elles seraient plus de 500 femmes sous Androcur à avoir subi une intervention pour méningiome entre 2007 et 2015.

Des prescriptions hors AMM

Le Quotidien du Médecin signale que l’acétate de cyprotérone « fait également l’objet de nombreuses indications hors autorisation de mise sur le marché (il est notamment utilisé chez les transsexuels[8]) »[9]. L’article du Point rapporte que l’Androcur est utilisé pour traiter le syndrome des ovaires polykystiques » et pointe lui aussi la forte utilisation hors AMM de l’acétate de cyprotérone. Selon l’article, cette spécialité est massivement prescrite « pour des troubles mineurs, comme l’acné, l’endométriose ou la ménopause, ainsi que comme mode de contraception. » Et de s’interroger : « Est-ce Androcur qu’il faut interdire ou faut-il interdire d’ordonnances certains médecins dangereux ? » Le cabinet d’avocats Julia Jegu Bourdon signale en effet qu’il y a eu « 142.000 prescriptions d’ANDROCUR® en France en 2012, dont seulement 24% dans le cadre d’un hirsutisme féminin majeur d’origine non tumorale »[10].

L’ampleur du marché

Le CSST prévoit de se réunir encore une fois afin d’établir une position commune en vue de limiter le risque lié à l’acétate de cyprotérone, dont la prescription aurait concerné 89 000 femmes en 2017, selon le Dr. Jean-Michel Race, endocrinologue de l’ANSM[11].

Un article de Futura-sciences rappelle qu’en Europe, l’acétate de cyprotérone est disponible dans cinq pays : le Royaume-Uni, l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne et la France, « qui représente à elle seule 60 % du marché »[12].

Mais, si le lien entre la survenue des méningiomes et la prise d’acétate de cyprotérone est établi, on n’en connaît pas les mécanismes, « en dehors de l’expression des récepteurs à la progestérone et de réponses variables des méningiomes aux drogues comme les antagonistes de la progestérone (Mifepristone) », souligne une brève résumant la communication de Maria Mavromati à un congrès d’endocrinologie le dimanche 18 mars 2018[13].

On peut espérer que le retentissement médiatique donné à cette affaire accélèrera désormais les recherches menées sur le développement des méningiomes en lien avec l’acétate de cyprotérone. On peut également se demander s’il ne conviendrait pas d’améliorer la surveillance des prescriptions hors AMM dans le cas de spécialités médicamenteuses présentant de tels risques.

 

Dr. Nguyen Phuong Vinh.

 

[1] S. Froelich et al., « Does cyproterone acetate promote multiple meningiomas ? », Endocrine abstracts,  16, P158 (2008).

[2] H. Cebula, S. Foroelich et al, Acta Neurochir, 2010.

[3] Stéphanie Benz, « Androcur, dernier médicament sur la sellette », L’Express, 3 septembre 2018.

[4] ANSM, « Lettre aux professionnels de santé – Acétate de cyprotérone (Androcur et génériques) et risque de méningiome : recommandations de l’ANSM pour la prise en charge des patients. », octobre 2018.

[5] Jérôme Vincent, « Faut-il interdire Androcur ? », Le Point, 12 décembre 2018.

[6] Stéphanie Benz, « Androcur, dernier médicament sur la sellette », L’Express, 3 septembre 2018.

[7] Lysiane Larbani, Androcur : ‘‘Ce médicament a chamboulé ma vie’’ », Libération, 11 septembre 2018.

[8] R. Gazzeri et al, « Growth of a meningioma in a transsexual patient after estrogen-progestin therapy », N Engl J Med, 2007, n°12, p. 2411-2.

[9] Charlène Catalifaud, « L’Androcur démultiplie le risque de méningiome », Le Quotidien du Médecin, 28 octobre 2018.

[10] Vincent Bourdon, « Androcur : Bayer France s’explique… et se justifie déjà ! », JBB Avocats, 10 septembre 2018.

[11] Futura et AFP-RElaxnews, « Androcur : un risque de tumeur du cerveau avéré pour ce traitement », Futura Sciences, 7 septembre 1018.

[12] Futura et AFP-RElaxnews, « Androcur : un risque de tumeur du cerveau avéré pour ce traitement », Futura Sciences, 7 septembre 1018.

[13] Aude Brac, « Androcur et Méningiome », compte rendu de la communication de Maria Mavromati, « Cyproterone Acetate Associated Meningiomas », Congrès Endo 2018, le 18 mars 2018.

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