Ce que les patients attendent de leur médecin - Dr Nguyen à Paris

Ce que les patients attendent de leur médecin… et vice-versa (IX) : Se soigner à tout prix ? Le coût du traitement, vrai ou faux obstacle au processus thérapeutique

Résumé : La question du coût d’un traitement préoccupe les patients, mais souvent sans être pensée dans toutes ses dimensions, à savoir en incluant le coût global pour le système de santé et la valeur psychologique d’un investissement consenti pour la santé.


La notion d’observance thérapeutique, c’est-à-dire de respect des prescriptions médicales est particulièrement importante à une époque où les maladies chroniques concernent plus de 80% de l’ensemble des consultations médicales et 70% des coûts de santé[1]. Cela signifie que la majorité des prescriptions se font pour des durées importantes (voire à vie) et requièrent un investissement au long cours, toujours plus problématique pour la compliance. Et l’observance est un sujet d’autant plus sensible qu’il est étroitement imbriqué dans la question financière, à la fois celle du coût pour le patient et du coût pour la société. Le coût d’un traitement, en particulier pour les maux chroniques, est un motif de non-observance.

 

Les patients disent vouloir réduire le coût d’une consultation

La question du coût, discrète ou explicite, est de toute façon toujours présente dans la relation médecin-patient. Lorsqu’on se penche sur les raisons pour lesquelles un patient préfère se confier à son généraliste plutôt qu’à un spécialiste de la santé mentale, la cherté est mentionnée[2]. Le coût fait aussi partie des facteurs jouant un rôle dans la compliance[3], un traitement coûteux risquant davantage de ne pas être suivi ou d’être abandonné.

Pourtant, les patients, lorsqu’on les questionne sur ce qui leur importe dans la relation médecin-patient estiment cet aspect peu important[4] ; une indifférence qui ne semble pas correspondre à d’autres témoignages de patients sur la compliance. Mais on comprend en fait qu’il s’agit plutôt d’un détachement que les patients attendent du praticien : des patients interrogés précisent qu’ils souhaitent que le médecin soit désintéressé pour lui-même et préoccupé par l’état financier du système de santé. Cela revient en quelque sorte à souhaiter une consultation à bas prix et/ou des prescriptions peu nombreuses.

 

Le praticien peut-il réduire le coût d’une consultation ?

Certes, le tarif d’une consultation est en principe déterminé par le praticien ; mais celui-ci doit cependant tenir compte des coûts impliqués par une éventuelle orientation complémentaire de sa pratique, requérant un matériel spécifique (comme par exemple en acupuncture). En revanche, le coût des prescriptions n’est pas du ressort du médecin. Il peut moduler la quantité de ses prescriptions, mais en lien avec les besoins essentiels du patient ; une consultation n’est cependant pas supposée donner systématiquement lieu à une prescription. Selon une enquête, pour huit patients sur dix, une consultation ne doit pas forcément se terminer par la prescription d’une ordonnance de médicaments et la majorité des patients se déclarent tout à fait prêts à ne pas recevoir d’ordonnance[5].

 

Quantité de prescriptions médicamenteuses

Mais le fait est que, en France, 78% des consultations donnent lieu à la prescription d’au moins un médicament[6]. Une proportion nettement supérieure à celle des pays européens voisins[7] et qui ne semble pas seulement relever d’un choix des médecins, puisque, selon ceux-ci, plus de 10% des consultations mènent à la rédaction d’ordonnances contre leur gré[8]. Évidemment, les praticiens demeurent concrètement libres de prescrire ou non, mais l’exigence de prescription émanant des patients peut créer une pression difficile à supporter.

Certaines études suggèrent que les médecins surestiment souvent le désir de leurs patients de recevoir une prescription[9] ; mais d’autres études montrent que seule une minorité de patients acceptent vraiment le remplacement des médicaments par des conseils si le médecin les juge utiles et suffisants[10]. Il y a donc au moins une forme de malentendu entre médecins et patients autour du besoin de prescriptions, lequel mériterait d’être tiré au clair.

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Coût réel et prise en charge

L’un des obstacles à l’explicitation et à l’éclaircissement de la question du coût tient cependant au fonctionnement spécifique de notre système de santé français. L’un des pays les plus protecteurs du monde en matière de santé, la France est le pays de l’OCDE où le reste à charge des ménages est le plus faible en part de dépense de santé. Or, cette proportion de remboursement a un effet un peu délétère : certains patients peinent à évaluer la valeur réelle des soins qui leur sont dispensés, aussi bien celle de la consultation chez le généraliste que celle des médicaments remboursables ou encore des frais d’hospitalisation. Ce qui explique que les patients soient souvent surpris par le coût des médicaments ou des actes non-remboursables, des compléments alimentaires ou des analyses de biologie non-remboursables. L’étonnement des patients vient essentiellement de ce qu’ils ne sont pas habitués à voir clairement indiqué le coût réel de leur prise en charge médicale.

Rappelons en effet qu’en 2019, chaque Français a en moyenne virtuellement dépensé pour sa santé 3102 euros ; or, sur cette somme, ce sont seulement 213 euros en moyenne qui sont restés à la charge de chaque Français, soit 6,9% du total[11]. La Sécurité sociale a pris en charge 78,2% des dépenses de santé en 2019. Les organismes complémentaires (mutuelles, institutions de prévoyance et sociétés d’assurances) ont contribué quant à eux à hauteur de 13,4% de l’ensemble des dépenses de santé. Lorsqu’un patient se dit soucieux de ne pas peser sur le budget de la Sécurité sociale et de limiter ses dépenses de santé, il faut donc qu’il ait conscience que le coût de chacune de ses consultations chez le généraliste vient déjà s’inscrire dans ce budget. De son côté, le médecin doit garder à l’esprit qu’un médicament remboursé n’est pas un médicament qui ne coûte rien et s’efforcer d’ajuster ses prescriptions aux véritables besoins médicaux (non pas psychologiques) du patient.

 

Tout a un coût, même ce qui est remboursé

Il ne s’agit évidemment pas de remettre en cause les bénéficies d’un système de santé protecteur, mais de souligner que cette protection peut faire perdre de vue que tout traitement a un coût, prescription ou non, remboursement ou non.

En outre, ce coût est de toute façon assumé par la collectivité, donc indirectement par le patient (via cotisations et impôts), à moins que celui-ci ne soit jamais imposable. Il y a des patients qui pratiquent le « nomadisme » médical, c’est-à-dire qui circulent de médecin en médecin, non pas par insatisfaction, mais parce qu’ils recherchent des prescriptions exclusivement prises en charge. Ce genre de patient répugne à fournir un investissement financier propre et donc à s’impliquer personnellement. Il y a, dans ce type de cas, un risque de déresponsabilisation et éventuellement de stagnation de l’état du patient (on observe que la médication a tendance à s’alourdir dans ces parcours). On sait que, dans la lignée de Freud, une partie de la psychanalyse estime que l’échange monétaire joue un rôle dans l’amélioration de la santé psychique du patient : « le fait de ne pas payer positionne le patient de manière infantile et situe l’analyste dans une position parentale[12]. » Sans aller jusque-là, le médecin généraliste est parfois confronté à des patients qui peinent à appréhender la responsabilité d’un investissement collectif (le coût du système de santé) et donc à retrouver le sens de leur propre dignité, pourtant capitale pour leur santé globale.

Dans cette perspective, il est important : d’une part que le patient sache exactement ce que signifie, pour son investissement personnel, le fait de trouver un traitement trop coûteux ; d’autre part que le praticien soit capable, en termes de prescription, de ne pas se laisser influencer par le désir des patients, dans un sens ou dans l’autre, considérant d’abord les besoins du patient.

 

 

Dr. Nguyen Phuong Vinh.

[1] Thomas Barré, Perception et attentes concernant la prescription médicamenteuse des patients consultant en médecine générale : approche qualitative, Thèse de Médecine, Université Paris Est Créteil, 2016 http://doxa.u-pec.fr/theses/th0692004.pdf

[2] Delphine Monin, Quelles sont les attentes des patients dans la prise en charge d’un syndrome dépressif majeur en médecine générale ?, Thèse de Médecine, Université Claude Bernard de Lyon, 2014, file:///Users/phuongvinhnguyen/Downloads/THm_2014_MONIN_Delphine.pdf

[3] M. Eaddy, C. Cook et K. O’Day, « How patient cost-sharing trends affect adherence and outcomes. A literature review. », P&T, 2012, p. 45-55.

[4] Marie-Cécile Dedianne, Attentes et perceptions de la qualité de la relation médecin-malade par les patients en médecine générale : application de la méthode par focus groups, Thèse de Médecine, Université de Grenoble, 2001, https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00784221/document

[5] E. Charra, « Représentations et vécu des patients à propos de la non-prescription médicale. Étude qualitative à partir de quatre focus groups », Thèse de médecine, Faculté de Médecine Lyon-Sud, Université Claude Bernard –Lyon 1, 2012 ; Denis Deleplanque et al, « Consultations sans prescription médicamenteuse : ressentis des médecins et des patients », Exercer, 2015 ; IPSOS Santé pour la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie, Les Européens, les médicaments et le rapport à l’ordonnance : synthèse générale, février 2005.

[6] E. Amar et al, « Les prescriptions des médecins généralistes et leurs déterminants », Études et Résultats, DRESS, novembre 2005 ; SFMG, « Existe-t-il une typologie des actes effectués en médecine générale ? », La Revue du Praticien, tome 18, n° 656/657, 2004.

[7] IPSOS Santé pour la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie, Les Européens, les médicaments et le rapport à l’ordonnance : synthèse générale, février 2005.

[8] IPSOS Santé pour la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie, Les Européens, les médicaments et le rapport à l’ordonnance : synthèse générale, février 2005.

[9] Jill Cockburn, Sabrina Pit, « Prescribing behaviour in clinical practice: patients’ expectations and doctors’ perceptions of patients’ expectations – a questionnaire study », BMJ, 1997 ; voir également C. Cedraschi, J. Robert, E. Perrin, D. Goerg, W. Fischer et T. Vischer, « The role of congruence between patient and therapist in chronic low back pain patients », J Manipul Physiol Therapeutics, 1996, n°19, p. 244-249.

[10] A. Garet et al, « Prescription médicamenteuse en médecine générale : les attentes des Français en cas de pathologies bénignes – Enquête d’opinion évaluant la demande de traitement médicamenteux des Français », Enquête qualitative évaluant les facteurs associés à l’attente de médicaments, septembre 2011.

[11] Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), « En 2019, 3 102 euros de dépenses de santé par habitant dont 213 euros à la charge des ménages », Ministère des solidarités et de la santé, Comptes et analyses économiques 2020,  https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/etudes-et-statistiques/publications/communiques-de-presse/article/en-2019-3-102-euros-de-depenses-de-sante-par-habitant-dont-213-euros-a-la

[12] Propos cité dans Luiz Eduardo Prado de Oliveira, « Argent, cadre et psychanalyse », Cahiers de psychologie clinique, vol. 38, n°1, 2012, p. 11-30. Voir aussi René Lew, « Le paiement en psychanalyse », Che vuoi, vol. 24, n°2, 2005, p. 37-60 ; voir encore Alain Gibeault, « Symbolique de l’argent et psychanalyse », Communications, Année 1989, n°50 (L’argent), p. 51-79.

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