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Épigénétique, santé et intelligence: le rôle de nos gènes et de notre environnement

« L’épigénétique est l’étude des changements d’activité des gènes (…) qui sont transmis au fil des divisions cellulaires ou des générations sans faire appel à des mutations de l’ADN », explique Vincent Colot, spécialiste de l’épigénétique des végétaux à l’Institut de biologie de l’Ecole normale supérieure (ENS-CNRS-Inserm, Paris)[1].

Fonctionnement des mutations épigénétiques

Gary Felsenfeld (chercheur en biologie moléculaire) fait le point sur l’histoire de cette notion.

A l’origine, explique-t-il, le terme « épigénétique » servait à désigner le processus alors mal connu par lequel un zygote fertilisé se développe en un organisme mûr et complexe. Les mécanismes épigénétiques, indispensables au développement embryonnaire, permettent la différenciation des cellules. Mille fois plus fréquentes que les mutations de l’ADN, les modifications épigénétiques jouent un rôle capital dans les premières phases du développement d’un organisme.[2]

A mesure que l’on a compris que toutes les cellules d’un organisme sont porteuses d’un même ADN et avec les progrès de notre connaissance des mécanismes de l’expression des gênes, la définition du terme « épigénétique » a cependant évolué. L’épigénétique désigne à présent la manière dont des caractéristiques transmissibles (goûts, allergies, particularités physiques…) peuvent être associées à des modifications chimiques de l’ADN ou de ses protéines associées, sans modification de la séquence même de l’ADN. « Epi-génétique » veut littéralement dire « au-dessus » ou « au-delà » du génome.

C’est ce qui fait dire à Joël de Rosnay (ancien chercheur et enseignant au MIT, ex directeur des applications de la Recherche à l’institut Pasteur) que « l’épigénétique est certainement l’une des plus importantes découvertes des vingt dernières années dans le domaine de la biologie ».[3] Les recherches les plus récentes et les plus pointues indiquent en effet que l’environnement (mode de vie, alimentation, exposition à telle ou telle substance, comportement de l’entourage, en particulier des parents[4]) peut entraîner plusieurs types de modifications chimiques de l’ADN. Ces modifications vont venir « allumer » ou « éteindre » un gène, c’est-à-dire augmenter ou diminuer son expression, sans changer la séquence de l’ADN[5]. En termes scientifiques, il se produit des méthylations de l’ADN et des changements des histones, ces protéines sur lesquelles s’enroule l’ADN pour former la chromatine. Toutes ces modifications constituent autant de « marques épigénétiques »[6], qui jalonnent le génome en des sites précis, modulant l’activité des gènes localisés sur ces sites.

Épigénétique et environnement

Si les gènes peuvent être exprimés ou inhibés en fonction de modifications chimiques liées au comportement ou à l’environnement des êtres vivants, cela signifie que l’alimentation, par exemple, par sa quantité et/ou sa qualité, est susceptible d’avoir un effet sur la mécanique épigénétique. Le lien entre une exposition prolongée aux pesticides ou perturbateurs endocriniens et l’apparition de modifications épigénétiques semble également de plus en plus établi, ouvrant, par exemple, des pistes d’explication à la progression de l’infertilité masculine. Un certain nombre de maladies seraient éventuellement liées à des changements épigénétiques et donc à une origine environnementale au sens large. On sait en outre que les marques épigénétiques, contrairement aux altérations génétiques de l’ADN, sont potentiellement réversibles, ce qui en ferait des cibles thérapeutiques intéressantes. Certaines expériences ont également démontré que des entraînements intensifs, chez les sportifs de haut niveau, pouvaient engendrer des modifications épigénétiques, permettant une adaptation à la pratique du sport en question. Enfin, plusieurs études sont venues démontrer qu’il y aurait une transmission aux générations suivantes de certaines altérations épigénétiques. On peut donc imaginer que l’épigénétique renvoie aux théories de l’évolution.[7]

Face à un environnement similaire (histoire personnelle, alimentation, exposition à telle ou telle substance…), tous les organismes ne sont certes pas égaux, le fond génétique conditionnant une grande partie des réactions de l’organisme. Mais l’épigénétique consituerait en quelque sorte une marge de manœuvre.

Épigénétique et intelligence

Le 14 avril 2018, Laurent Alexandre, chirurgien-urologue français et promoteur du transhumanisme, publie dans Les Echos une tribune, par laquelle il dénonce ce qu’il considère comme le tabou des « inégalités neurogénétiques »[8]. Selon Alexandre, l’ADN détermine plus de 50 % de notre intelligence et l’environnement (école, éducation familiale…) pèserait peu face au poids décisif de la génétique. Toujours selon Alexandre, le rôle de la génétique croîtrait avec l’âge tandis que, corrélativement, le rôle de l’environnement diminuerait. A 50 ans, l’ADN expliquerait 81 % ainsi de nos capacités intellectuelles.

Cette vision centrée sur la génétique ne tiendrait donc pas compte des recherches et connaissances actuelles sur l’épigénétique. Dans une tribune publiée dans Le Monde le 25 avril 2018, de nombreux médecins et chercheurs répondent à Laurent Alexandre, contestant vivement l’idée que l’influence du bagage génétique prévaudrait de façon écrasante par rapport à l’environnement et qu’il serait possible de traduire en pourcentages l’héritabilité d’un trait.[9] C’est-à-dire qu’il ne faut pas oublier qu’un trait (aptitude pour tel ou tel domaine d’activité, particularité physique ou psychique…) n’est hérité qu’avec une part de variabilité et que la génétique ne joue qu’un rôle partiel dans cette variabilité.

Le chercheur dont les recherches inspirent Laurent Alexandre, Robert Plomin, dit d’ailleurs que l’héritabilité de l’intelligence est estimée entre 20 et 50 %[10], ce qui non seulement est inférieur aux chiffres avancés par Laurent Alexandre, mais encore ne signifie pas que le poids de la génétique dans notre intelligence est de 20 à 50 % et celui de l’environnement de 50 à 80 %. Cela signifie simplement qu’une part variable de notre intelligence pourrait être héritée, la variabilité de cette part étant liée à des facteurs divers. La recherche tend à montrer que le poids de la génétique sur notre intelligence n’est pas une donnée figée, mais est influencée par le type de société dans lequel évolue l’individu.[11] S’il est indéniable que des facteurs génétiques interviennent dans la cognition humaine, il est clair aussi que de nombreux facteurs environnementaux sont nécessaires pour révéler la vulnérabilité génétique ou au contraire protéger l’individu, selon un modèle d’interaction entre gènes et environnement[12].

La transmission probable des mécanismes épigénétiques à travers les générations[13], impliquerait que les enfants héritent d’une sorte de mémoire moléculaire de l’environnement dans lequel ont vécu leurs parents. Ainsi, les facteurs biologiques de l’intelligence ne peuvent-ils être considérés comme très majoritairement génétiques ; le rôle de l’environnement, évident, est délicat à apprécier.

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Les enjeux de l’épigénétique

Au-delà des débats sur le poids de la génétique dans l’intelligence, la reconnaissance du rôle de l’épigénétique suppose des enjeux médicaux. Comme on l’a dit plus haut, certaines variations de l’état épigénétique normal seraient en cause dans diverses maladies et dans le vieillissement. Ces variations ou épimutations se produiraient par accident ou sous l’effet de facteurs environnementaux. C’est pourquoi le rôle des épimutations est très activement étudié dans le développement de maladies chroniques comme le diabète de type 2, l’obésité ou les cancers, dont la prévalence explose actuellement partout dans le monde.

Les travaux sur l’épigénétique sont aujourd’hui extrêmement nombreux[14]. Ils ouvrent un champ d’études de plus en plus vaste et passionnant aux recherches sur l’importance des facteurs environnementaux (alimentation, polluants, exercice physique, stress…) pour notre santé et celle de nos enfants. Les découvertes sur l’épigénétique nous invitent à accorder une attention sans relâche aux paramètres environnementaux sur lesquels nous avons une influence, c’est-à-dire en particulier à notre mode de vie.

Parmi les perspectives thérapeutiques, l’acupuncture a déjà fait l’objet de recherches en lien avec l’épigénétique. Des chercheurs se sont intéressés à la manière dont le soulagement de stress induit par l’acupuncture se reflétait dans l’épigénétique. Selon cette étude, l’acupuncture diminuerait significativement (de l’ordre de 50%) l’importance du processus de méthylation (modification épigénétique du gène BDNF) induit par le stress[15].

 

 

Dr. Nguyen Phuong Vinh.

 

[1] Propos cités dans Florence Rosier, « L’épigénétique, l’hérédité au-delà de l’ADN », Le Monde des Sciences, 13 avril 2012, https://www.lemonde.fr/sciences/article/2012/04/13/l-epigenetique-une-heredite-sans-adn_1684720_1650684.html

[2]Gary Felsenfeld,« A Brief History of Epigenetics », Cold Spring Harb Perspect Biol, 2014;6:a018200.

[3] Joël de Rosnay, La symphonie du vivant, comment l’épigénétique va changer notre vie, Paris, Ed. Les liens qui Libèrent, 2018.

[4] Ian C G Weaver, Nadia Cervoni, Frances A Champagne, Ana C D’Alessio, Shakti Sharma, Jonathan R Seckl, Sergiy Dymov, Moshe Szyf et Michael J Meaney, « Epigenetic programming by maternal behavior », Nature Neuroscience, volume 7, 2004,p. 847–854, https://www.nature.com/articles/nn1276

[5] Florence Rosier, « L’épigénétique, l’hérédité au-delà de l’ADN », Le Monde des Sciences, 13 avril 2012, https://www.lemonde.fr/sciences/article/2012/04/13/l-epigenetique-une-heredite-sans-adn_1684720_1650684.html

[6] Voir Florence Rosier, « L’épigénétique, l’hérédité au-delà de l’ADN », Le Monde des Sciences, 13 avril 2012, https://www.lemonde.fr/sciences/article/2012/04/13/l-epigenetique-une-heredite-sans-adn_1684720_1650684.html

[7] Propos cité dans Florence Rosier, « L’épigénétique, l’hérédité au-delà de l’ADN », Le Monde des Sciences, 13 avril 2012, https://www.lemonde.fr/sciences/article/2012/04/13/l-epigenetique-une-heredite-sans-adn_1684720_1650684.html

[8]Laurent Alexandre, « Déterminisme – Pourquoi Bourdieu avait tort », Les Echos, 14 avril 2018, voir https://www.lexpress.fr/actualite/sciences/determinisme-pourquoi-bourdieu-avait-tort_2002043.html

[9]Henri Atlan, Jacques Testart, Catherine Vidal et al, « Halte aux ‘‘fake news’’ génétiques », Le Monde, 25 avril 2018, https://www.lemonde.fr/acces-restreint/sciences/article/2018/04/25/a75476f5f776aab992635aceca814d23_5290360_1650684.html

[10]Robert Plomin et Sophie von Stumm, « The new genetics of intelligence », Nature Reviews Genetics volume 19, 2018, p. 148–159, https://www.nature.com/articles/nrg.2017.104

[11]Kaili Rimfeld, Eva Krapohl, Maciej Trzaskowski, Jonathan R. I. Coleman, Saskia Selzam, Philip S. Dale, Tonu Esko, Andres Metspalu et Robert Plomin, « Genetic influence on social outcomes during and after the Soviet era in Estonia », Nature Human Behaviour, volume 2, 2018, p. 269–275, https://www.nature.com/articles/s41562-018-0332-5

[12] Tesfaye M Baye, Tilahun Abebe, et Russell A Wilke, « Genotype–environment interactions and their translational implications », Per Med., 2011 Jan, 8(1): 59–70, https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3108095/

[13] Marco Trerotola, Valeria Relli, Pasquale Simeone et Saverio Alberti, « Epigenetic inheritance and the missing heritability », Human Genomics, 2015, n°9:17, https://humgenomics.biomedcentral.com/articles/10.1186/s40246-015-0041-3

[14]Voir notamment Robert Feil & Mario F. Fraga, « Epigenetics and the environment: emerging patterns and implications », Nature Reviews Genetics, volume 13, 2012, pages 97–109 ; Richard C. Francis, Epigenetics – How Environment Shapes Our Genes, New York, W. W. Norton & Company, 2012 ; Carmen J. Marsit, « Influence of environmental exposure on human epigenetic regulation », Journal of Experimental Biology, 2015, n°218, p. 71-79 ; Reinhard Heil, Stefanie B. Seitz, Harald König, Jürgen Robienski, Wiesbaden, Epigenetics: Ethical, Legal and Social Aspects, Springer, 2017 ;Oscar Aguilera, Agustín F. Fernández, Alberto Muñoz et Mario F. Fraga, « Epigenetics and environment: a complex relationship », vol. 109, Issue 1, juillet 2010, p. 243-251 ; Claudine Junien, « L’épigénétique : les gènes et l’environnement, pour le pire ou le meilleur », L’homme peut-il s’adapter à lui-même ?,Antony-Brest-Montpellier-Versailles, Editions Quæ, 2012, p. 48-56.

[15] Dr. Ariane Giacobino, Dr. Marc Petitpierre, Dr. Hong Guang Dong, « Acupuncture et stress : une contribution épigénétique », Acupuncture et moxibustion, 2015, n°14(4), p. 272-275. 

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