Le désir d'enfants homoparentalité - Dr Nguyen à Paris

UN MEDECIN PARTAGE SES REFLEXIONS

Le désir d’enfant (VI) : L’homoparentalité (2)

Résumé : Dans les couples homosexuels, il semblerait que le désir d’enfant réponde à un plus grand besoin inconscient de réparation, en lien avec le vécu personnel et les rapports à l’entourage. Le regard de la société amène également le parent à chercher davantage à conforter son identité.

Des émotions davantage conscientisées

Le désir d’enfant est composé d’une multiplicité de désirs aux origines diverses, aussi bien anthropologiques que sociales ou personnelles. Ce désir est parfois ressenti et analysé de façon très lucide par les futurs parents, mais aussi parfois vécu de façon brute, comme un fait naturel qu’il serait tout à fait inutile de disséquer. On désire un enfant comme la majorité des couples, voilà tout ! Or, il semblerait que le couple homosexuel en désir d’enfant, parce que l’affirmation de son orientation sexuelle l’a déjà amené à s’affranchir de codes sociaux ou moraux, non seulement réfléchirait profondément et systématiquement à son désir d’enfant, mais encore serait plus capable d’exprimer ses émotions à ce sujet.

Certains psychanalystes suggèrent qu’avoir été capable d’identifier et d’accepter sa propre orientation homosexuelle rendrait l’individu plus à l’écoute de ses sentiments et plus à même de les exposer sans crainte de stigmatisation[1]. Dans cette perspective, le désir d’enfant se trouverait davantage étudié par le parent homosexuel, jusque dans ses éventuels nœuds émotionnels.

Réparer une injustice subie

Par exemple, si tout individu peut désirer, à travers le désir d’enfant, réparer une relation problématique à sa propre mère, l’individu homosexuel peut plus spécifiquement éprouver le besoin de réparer[2] un sentiment d’injustice vécue en raison de son orientation homosexuelle, dans la famille ou la société en général[3].

Avoir été stigmatisé par ses parents ou ses contemporains pourrait susciter le désir d’obtenir malgré tout (en dépit des rejets, des prédictions malveillantes, etc.) ce qu’obtiennent les personnes hétérosexuelles (donc un enfant), parfois dans un besoin de normalisation. Parfois, alors même que le couple homosexuel ne vit pas son désir d’enfant comme un besoin de réparation, c’est la société qui va analyser ce désir d’enfant comme une revendication ou comme une revanche sur les stigmatisations subies.

[1] « social norms surrounding men’s and women’s emotion and gender expression may shape how they manifest and express their sexual orientation. », dans R. Thora Bjornsdottir & Nicholas O. Rule, « Emotion and Gender Typicality Cue Sexual Orientation Differently in Women and Men », Archives of Sexual Behavior, volume 49, 2000, p. 2547-2560.

[2] Emmanuel Gratton, « La paternité gaye : désir et réalisation », Catherine Sellenet (dir.), Les pères en débat, Toulouse, Erès, 2007, p. 61-72.

[3] Kathleen Boucher, Martin Blais et al., « La victimisation homophobe et liée à la non-conformité de genre et l’adaptation scolaire et psychosociale chez les 14–22 ans : Résultats d’une enquête québécoise », Rech Educ. 1er juin 2013, 8(1), p. 83–98, https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5303013/

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Absence de père/absence de mère : trouver un référent de l’altérité sexuelle

 

Mais Martine Gross souligne que si la femme homosexuelle peut vouloir, en accédant à la maternité, devenir une « femme comme les autres », c’est moins valable pour l’homme homosexuel : en effet, la paternité risque de rendre celui-ci, aux yeux de la société, encore plus « marginal », car la parentalité sans mère est plus mal vue que la parentalité sans père[1]. Dans le discours social stéréotypé, l’absence de la mère est en effet pratiquement de l’ordre de l’impensable, tandis que l’absence du père (et aussi l’évolution de la figure paternelle vers une figure maternante) est facilement jugée responsable de dérives de la société (délinquance, difficulté à supporter la confrontation…).

 

Les couples homosexuels en désir d’enfant sont d’ailleurs très conscients de ce que la société peut leur reprocher et des précautions qu’ils doivent prendre au cas où ils souhaitent devenir parents. Ainsi, la plupart de ces couples vont choisir (dans la famille ou les amis) un référent de l’altérité sexuelle pour incarner, à l’égard du futur enfant, une figure traditionnelle de type paternel ou de type maternel. Une démarche déculpabilisante quant à la transgression des normes sociales.

 

Conforter sa part masculine/féminine

 

Dans cette perspective, le désir d’enfant serait également vécu, par au moins l’une des parties du couple homosexuel, comme un moyen de conforter une part masculine ou une part féminine : en devenant père ou mère, on s’affirme comme plus masculin ou plus féminin, en rejoignant plus ou moins consciemment des rôles-types validés par la société. Dans le couple hétérosexuel, on retrouve d’ailleurs le même fonctionnement symbolique : la paternité vient renforcer la virilité de l’homme et la maternité glorifier la féminité de la femme.

La femme homosexuelle qui choisit de vivre physiquement une grossesse peut ainsi souhaiter renforcer sa féminité[2], tandis que sa partenaire se sentira éventuellement réaffirmée dans sa part plus masculine. Dans le couple homosexuel masculin, où la grossesse n’est pas vécue dans le corps, l’un des futurs parents peut aussi éprouver, par le désir d’enfant, une confortation de sa part masculine ou féminine.

Bien sûr, cette distribution schématique est en partie influencée par les attentes de la société[3], mais elle peut aussi correspondre à un besoin de normalisation. Le désir d’enfant, dans le couple homosexuel, comme dans le couple hétérosexuel, n’échappe en tous les cas pas aux problématiques de la féminité et de la masculinité, qu’il s’agisse de se positionner par rapport aux attentes sociales ou par rapport aux modèles parentaux[4]. Lorsqu’il entraîne une redéfinition des rôles, le désir d’enfant peut ainsi modifier la dynamique du couple d’hommes ou de femmes.

[1] Martine Gross, 2006, « Désir d’enfant chez les gays et les lesbiennes », Terrain, n° 46, p. 151-164.

[2] Corinne P. Hayden, « Gender, genetics, and generation: reformulating biology in lesbian kinship », Cultural Anthropology, n° 10 (1), 1995, p. 52.

[3] “Americans Think Sex Should Determine Chores for Straight Couples, Masculinity and Femininity For Same-Sex Couples”, ASA, 21 août 2016, https://www.asanet.org/sites/default/files/pr_am_2016_quadlin_news_release_final.pdf ; Cathy Herbrand, “Ideals, negotiations and gender roles in gay and lesbian co-parenting arrangements”, Anthropology & Medicine,

Vol. 25, Issue 3 (“Conceiving Contemporary Parenthood: Imagining, Achieving and Accounting for Parenthood in New Family Forms”), 2018, p. 311-328 ; John Culhane, “No One Is Safe From the Gender Binary—Even Gay Families”, Slate, 23 janvier 2017.

[4] Martine Gross, « Les grands-parents dans les familles homoparentales : entre lien biologique et lien social », Revue des politiques sociales et familiales, Année 2009, 97, p. 41-50.

[1] Nicole Prieur, « Les couples homosexuels face au désir d’enfant », L’École des Parents, mars 2016, https://www.parolesdepsy.com/les-couples-homosexuels-face-au-desir-denfant/

[2] Nicole Stryckman, « Le désir d’enfant chez l’homme », Le Bulletin Freudien, n° 54, août 2009, p. 151-159, ici p. 156, http://www.association-freudienne.be/pdf/bulletins/2-12_Stryckman_54.pdf

 

[1] Flávio Luiz Tarnovski, « Parenté et affects – Désir d’enfant et filiation dans les familles homoparentales en France », Anthropologie et Sociétés, vol. 41, n° 2, « Désir d’enfant et désir de transmission », 2017, p. 139-155, https://www.erudit.org/fr/revues/as/2017-v41-n2-as03293/1042318ar/

[2] Françoise-Romaine Ouellette, « Les usages contemporains de l’adoption », dans Agnès Fine (dir.), Adoptions – Ethnologie des parentés choisies, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1998, p. 153-176.

[3] F.-R. Ouellette, « L’adoption face aux définitions de la famille et de l’institution généalogique », dans Agnès Fine et C. Neirinck (dir.), Parents de sang, parents adoptifs. Approches juridiques et anthropologiques de l’adoption, France, USA, Canada, Europe, Paris, LGDJ, 2000, p. 325-341, ici p. 331-332.

[4] Christine Castelain-Meunier, La Place des hommes et les métamorphoses de la famille, Paris, PUF, coll. « Sociologie d’aujourd’hui », 2002, p. 84.

[5] Emmanuel Gratton, « Quand la paternité s’égaye… », Dialogue, vol. 173, n° 3, 2006, p. 59-69.

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